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Jai eu loccasion tout récemment
de rencontrer Navette (tatoueur lyonnais quon ne présente
plus) pour parler de lui, de son travail et des ses activités
parallèles. Linterview a eu lieu dans lenceinte même
de sa boutique qui reflète lunivers de ce monsieur atypique.
A lissu de notre entretien, Navette se révèle être
un personnage haut en couleurs, convaincu mais aussi convaincant. Je
le remercie dailleurs davoir refusé Jean-Pierre Foucault
pour me voir ce soir là (NDLR private joke car ce monsieur
est plein dhumour ! oui oui je vous assure, Navette
est un véritable poète !).
Quand as-tu été confronté au tattoo pour la première
fois et comment?
La toute première fois jétais vraiment tout petit.
Le premier souvenir vraiment marquant en fait cétait quand
mon père bossait dans une boite de maçonnerie et que le
chauffeur avait une croix du calvaire (la croix avec les trois marques)
sur le bras. Il avait aussi une pensée à ma mère.
Ils les avait vraiment super oldschool, super dégueu mais ça
mavait vraiment fait bloquer. Cétait un peu pour
moi dans le délire « regarde il a un truc comme Popeye ».
Il était super sympa en plus. Après javais vu des
punks à larrêt de bus qui avaient des tattoos et
jétais super impressionné et fasciné. Donc
oui le tattoo ma marqué assez jeune en fait. Je regardais
pas mal aussi les bouquins de mon grand-père où il y avait
pas mal de photos de vieux soldats tatoués.
Puis, à 18 piges je suis allé comme tout le monde me faire
faire ma petite merde, mon tribal dégueu. Donc à la base,
le tattoo cétait vraiment un truc de merdeux.
Et
finalement quand as-tu toi-même commencé à tatouer
et avec qui ?
Jai débuté il y a maintenant six ans. Je traînais
beaucoup dans les boutiques de tattoo ou avec des tatoueurs tels que
Yann ou Sacha qui était encore chez Tribal Act. Je ne gagnais
pas ma vie à lépoque et faisais juste des expos.
Au bout dun moment Yann ma dit « pourquoi nessaierais-tu
pas de faire du tattoo ? ». Personnellement je pensais
que mon trait ne pourrait pas sadapter au tattoo car jai
un trait « sale ». En fait il ma montré
et ma filé un bout de peau sur lui pour que jessais
avant de se faire remplir le bras en noir. La semaine suivante javais
ma machine et me défonçais la peau avec un logo de Black
Flag. Ca ma directement plu et je me suis rendu compte plus tard
quil y avait vraiment moyen de reproduire le trait dégueu.
En fait le but cétait vraiment ça : faire sur
la peau ce que je faisais sur papier.
Après jai bossé chez Artribal et cest vraiment
lui (NDLR Mathias) qui ma montré le métier,
qui ma montré comment régler une machine, comment
être propre, comment faire une bonne stérilisation. Disons
que le côté vraiment professionnel cest là-bas
que je lai appris.
Tu as ouvert quand ?
Il y a trois ans ou trois ans et demi. Je ne sais plus exactement. Lapprentissage
chez Artribal cétait mortel mais après jai
eu besoin dêtre chez moi pour pouvoir imposer mon dessin.
Je ne pouvais pas le me permettre avec la clientèle dun
autre. Je ne pouvais aussi pas me permettre de vouloir faire changer
les choses alors que cétait chez lui. Jai donc préféré
faire mon truc. Nous navons pas la même vision du tattoo
et je ne voulais pas lui imposer la mienne dans le sens où sa
vision est plus que défendable. Cest juste que nous navons
pas forcément les mêmes attirances et les mêmes goûts.
Il
me semble ne pas me tromper si je dis que toi aussi comme dautres
tatoueurs tu as fait Emile Kohl. Quand tu y es entré, cétait
pour être tatoueur ?
Non pas du tout. Jai toujours voulu être illustrateur. Et
même maintenant je nai pas le sentiment de faire du tattoo.
Et justement, penses-tu que cest super important
davoir fait une école dart ou une formation dart
pour être tatoueur ?
Oui moi ça ma réellement aidé. De toutes
façons le fait quon tapprenne à créer
une image ne peut pas être mauvais. Après, je nutilise
pas non plus tout ce que jai appris là-bas. Jai été
un gros branleur donc je nai pas suivi tous les enseignements
que jaurais dû. Mais ce qui est bien cest quils
tobligent à dessiner et avoir une logique de construction
dimage. Une fois que tu sais construire une image sur papier,
tu peux ladapter à nimporte quel truc. Lavantage
dune école comme ça cest quelle touvre
à diverses choses. Ca te donne les bases du dessin, mais après
que tu ailles les exploiter en sculpture, en dessin animé, en
infographie, sur papier ou sur la peau, le principe reste le même.
On tapprend à avoir une réflexion sur une image
à linverse un peu de formations comme les Beaux Arts où
on tapprend à défendre une idée par une image.
Là (NDLR Emile Kohl), on tapprend que si ton image est
bancale, elle est bancale un point cest tout et elle ne tient
pas la route. On va dire que cest vraiment une école dartisanat.
Ca ma été vraiment utile et ça maide
à vraiment composer des tattoos en fonction du corps et en fonction
de comment tu composes une image avec les points les plus intéressants
et importants à exploiter.
Après, bien sûr quon peut y arriver sans faire une
école. Mais il est certain que si personne ne te montre le truc,
ça nécessite plus de travail. Donc quand tu es un branleur
comme moi, il vaut mieux quon tait montré. (NDLR
rires).
Jimagine
un peu avoir la réponse à la question mais tu es le mieux
placé pour pouvoir répondre : considères-tu
tout ça comme un boulot ou comme une passion ?
Obligatoirement les deux. C'est-à-dire que forcément mon
discours a changé depuis que je suis à mon compte. Oui
je vais te dire que je fais ça par passion et que je ne sais
pas faire autre chose. Si je ne me mets pas à faire du tattoo,
je ferais de lillustration. Je ne peux pas vivre dun autre
truc car ça ma prend trop de temps tout ça déjà.
Effectivement après trois ans de boutique, je nai pas les
mêmes illusions sur le fait de vivre de sa passion. Il faut parfois
revisiter ton discours car tu nes pas tout seul sur ta toile.
Sur une toile, le fait de ne jamais faire de concessions cest
possible. Sur les gens cest différent car ils ont quand
même un droit de décision. Parfois tu vas accepter de faire
quelque chose auquel tu crois un peu moins, mais tu sais que cest
ce dont la personne a besoin ou a envie. Par contre si je pense que
je ne peux pas donner à la personne le truc quelle veut,
je préfère lenvoyer chez quelquun dautre.
Le but est de faire plaisir à la personne qui vient donc toi
tu y trouves forcément ton compte quelque part.
Après le délire passion, cest un peu bizarre. Tu
perds un peu de ton enthousiasme. Mais tu ne savoures plus ta passion
pareil. Des images où tu te fais chier, tu en fais tous les jours.
Forcément parfois tu as un peu le sentiment de prendre ça
comme un boulot. Mais il y a toujours des gens qui vont venir me demander
ma touche. Je ne peux pas me plaindre de faire ce travail là
alors que jai déjà bossé en maçonnerie.
Il faut dire ce qui est quand même :
la majorité des gens qui viennent ici, cest pour demander
le style « Navette ».
Oui cest sûr. Comme jai eu une démarche super
anti commerciale au début, maintenant je commence à avoir
un peu plus de demande. Il y a un petit retour donc ça cest
cool. Mais la démarche reste la même. Même si on
est dans une boutique, on est vraiment à la maison, et on prend
le temps. Je narrive pas à prendre du temps avec un blaireau.
Je ne peux pas passer cinq heures à faire un tattoo sur un mec
alors que je pense que cest un super tocard et que de toutes façons
on na rien à se dire. Lavantage quand tu fais des
trucs un peu spécialisés, cest que les gens qui
viennent te voir sont déjà acquis à ta cause car
si ils viennent cest quils aiment puisque sinon cest
quils ne me connaissent pas. Sils viennent me trouver dans
cette petite rue où la boutique na pas denseigne
cest que dans un sens je prêche déjà des convaincus.
Les gens qui viennent ici ont déjà cette culture de limage
la plupart du temps.
Mais oui cest une passion car je ne vis que de ça, je bouffe
de ça. Le soir quand jai fini de tatouer, je fais du dessin,
de lillustration, des trucs pour des groupes. Pour moi, cest
tout le même truc. Cest juste que tu te lèves le
matin, tu vas bientôt clapser donc il faut se dépêcher
de faire un truc cool. Ca reste une passion débordante.
Et que serait la vie sans passion mon enfant ?? Un beau monde de
merde
. (NDLR première phrase choc de Navette).
Parlons
un peu de style ? Il est super original et se démarque fortement
de tout ce quon peut voir ailleurs. Tu me sembles le mieux placé
pour nous le décrire et le qualifier
Et en même temps, le moins bien placé. Le trait ça
reste un langage donc je nai pas limpression dêtre
tant original que ça puisque moi je sais de quoi ça découle.
Ca vient de toutes les influences que jaime. Ca semble assez logique
que je finisse par dessiner comme ça car cest le monde
que jai eu sous les yeux. Après je recherche toujours une
certaine originalité que je ne peux pas trouver car je sais doù
ça vient. Cest comme un peu en musique : quand tu
demandes aux groupes quel genre musical ils font, ils sont super emmerdés
car forcément les influences que tu as ne sont pas du tout retranscrites.
Donc moi, je ne me sens pas dans la lignée des influences que
jai et en même temps je suis complètement dans la
lignée de ça. Mon style je ne sais pas trop le définir
en fait.
Donc pour toi cest peut-être plus
à voir pour comprendre
Je vais te faire une comparaison super bidon, mais je le sens un peu
comme ça. Pour moi le style cest comme un accent. Les gens
qui parlent avec un accent ne se rendent pas comptent quils parlent
avec un accent. (NDLR loin dêtre bidon cette comparaison
assez
pertinente dans un sens.) Ca fait un peu fausse modestie que de
dire je ne me rends pas compte que jai un style à part,
mais de lexpliquer cest un peu délicat. Cest
un langage différent et automatique ? Disons que si jai
ce style là, cest parce que je ne sais pas faire les autres.
Tu ne sais pas faire les mains, tu apprends à les faire tordues.
Mon boulot ça a toujours été un peu un cache misère :
il te manque un petit truc là, alors jy met une tache.
Cest un peu les petits effets faciles pour camoufler un manque.
Justement,
en tout honnêteté que penses-tu de tous les tatoueurs qui
font de la photocopie ?
Le problème cest que si je me mets à parler de ce
que je pense vraiment du monde du tatouage, je ne me fais pas de copain
généralement. Cest un peu comme en musique. Dans
toutes les formes de création, je naime pas les suiveurs.
Je naime pas les mecs qui roulent en 4x4 car ils se sont fait
du fric sur le dos de ceux qui ont trouvé des idées. En
gros, quand tu te fais chier à faire des trucs personnels, tu
nas pas le temps daller faire le poseur car cest un
truc dévorant de tous les jours. Tu aimes ça et tu fais
ça parce que tu aimes ton métier. Tu auras toujours des
mecs qui font du blé sur le dos des autres. Tu auras toujours
des mecs qui inventent un style musical et des mecs qui ont la belle
gueule qui va permettre de le vendre. Tu auras toujours des Ramones
et des Vegastar ! En gros cest ça. Le tattoo cest
un milieu clos comme un autre, cest un milieu qui se regarde le
nombril comme les autres milieux et qui sauto pompe. Tu vois un
mec comme Yann qui nous sort un truc que jamais personne navait
fait, qui est un extraterrestre dans le monde du tattoo. Six mois après,
tu as des Yann qui ont poussé dans toutes les villes du monde.
Mais ce nest pas grave car les mecs qui pompent ils ont toujours
un temps de retard. Ces mecs là vont vivre en 4x4, vont faire
les poseurs dartiste en convention
Cest tant mieux.
Le problème nest pas tellement là. Tant quil
y aura des gens dont on peut se foutre de la gueule (ceux qui
nont pas une certaine critique quant au mec auquel ils confient
leur peau), il y aura des gens qui en abusent. Il y aura toujours des
gens pour profiter de la connerie humaine et du fait que les gens nont
pas de goût concernant le tattoo. Il y a plein de gens qui ne
méritent pas davoir un beau tattoo. Cest super salaud
mais je sais pertinemment que jai un discours super élitiste
car je suis passionné. Il y a trop de gens qui sont venus au
tattoo car cest une mode tant au niveau tatoueur que tatoué.
Il y a pleins de gens qui rentrent dans ta boutique pour se faire un
tattoo comme ils achèteraient une paire de chaussette. Je comprends
quil y ait des gens pour leur piquer leur blé, quils
naient pas envie de se casser le cul pour eux, qui sont là
pour abuser de leur confiance et leur faire des merdes. Cest comme
ça dans tous les milieux. La meilleur exemple cest la musique ?
Regarde MTV. Il y aura toujours des Rage Against The Machine et des
Slipknot pour être connu à la place des mecs qui ont fait
ce style là. En tattoo cest pareil. Ce nest pas grave,
tu continues à le faire. Le matin tu te lèves parce que
tu ne sais pas faire autre chose.
Cest dingue quand même car jentend
pleins de tatoueurs me dire « je fais ça car je ne
sais pas faire autre chose ». Cest quand même
assez bizarre
Ah mais non ! Moi quand je dis que je ne peux pas faire autre chose
cest parce que je deviens dingue si je fais autre chose. Cest
pareil pour la zic. Je fais de la zic depuis dix ans dans des groupes
qui nont jamais fonctionné et ce nest pas pour rien
non plus. Le but nest pas que ça fonctionne mais cest
de faire de la musique parce que tu nas pas le choix, car si tu
nen fais pas, tu mords les gens dans la rue. Cest pareil
pour le tattoo. Tu ne sais pas faire autre chose quoi !
Et justement, tous ces mecs qui sont arrivés
pour en profiter, ça na pas fait changer ta vision du tattoo
quand même ?
Non parce que ce milieu là je ne le vois pas spécialement.
Les amitiés que jai dans ce milieu sont des personnes qui
partagent ma vision et qui font les choses par conviction. Au même
titre que je suis pote avec le fromager dà côté
car il est capable de taffiner de bons fromages. Je pars du principe
que quand des mecs te filent du blé pour faire un truc, fais
le comme il faut et respecte les. Les gens te donnent de largent
quils pourraient garder pour manger. Ca ne sert à rien
de se faire tatouer. Cest juste pour le plaisir. Ces gens là
font un effort car cest de largent quils ne vont pas
dépenser ailleurs. Surtout que la majorité des personnes
qui viennent me voir nont pas spécialement dargent.
Cest un truc que tu te dois de respecter. Après cest
pareil on en revient au même discours sur les suiveurs. Cest
pareil dans tous les métiers, il y a des escrocs partout. On
nempêchera jamais la nature humaine. Il y aura toujours
des gens pour te prendre ton fric, comme il y aura toujours des cons
pour se faire prendre leur fric. A la rigueur tant mieux quil
y ait des gens pour se faire avoir. Jai perdu à trente
ans le discours du mec qui va changer le monde. Le pognon ce nest
pas le moteur ici.
Cest aussi du bonheur car il y a pleins de gens qui ne paient
pas forcément de mine et que jai rencontré ici.
Cest des personnes auxquelles je naurais pas forcément
parlé dans la rue alors quen fait elles se révèlent
être géniales. La relation se fait autrement. Il y a une
certaine intimité qui se fait naturellement. Il y a vraiment
des barrières qui sont super faciles à tomber. Evidemment
il y a des gens avec qui tu ne fais pas leffort car il ny
a pas que des gens cools dans la vie.
De
quels tatoueurs te sens-tu donc le plus proche ? Pas forcément
dans le style mais peut-être plus au niveau état desprit
De tous ceux qui mont donné un coup de main pour arriver
où je suis. Mathias pour mavoir montré le métier,
même si je ne me sens pas proche de lui dans le style. On ne fait
pas les mêmes choses mais il ma montré le métier
donc forcément bravo et merci. Des mecs comme Yann qui ma
mis une machine dans les mains. Ou comme Sacha qui a toujours répondu
au téléphone quand je lappelais à minuit
pour lui dire « ça ne marche pas ». Des
mecs comme Tin-Tin qui ma toujours ouvert sa boutique et donné
des conseils. Un mec comme Bebert qui ne ma pas pris de haut quand
je me suis pointé dans sa boutique à 17 ans. Si jai
les deux bras par Sacha et Bebert cest pour ça. Jai
offert mes bras aux « maîtres ». Ils mont
offert ce métier là. Les gens dont je me sens proche ce
sont tous les gens qui mont donné envie de faire ce boulot.
Et puis tous les autres comme Didier. Ceux avec qui je vais en convention
comme Fred. Tous les potes de la scène. Tous ceux qui font ce
métier de la même façon que moi. Je me sens aussi
très proche du travail de Topsi à Lyon. Nous avons fait
la même école. Nous aimons les mêmes musiques. Mais
notre boulot na rien à voir. En France, il y a pleins de
mecs qui font des trucs cools même si ce nest pas forcément
des styles que jaffectionnent particulièrement. Il y a
du niveau. Jaime les gens qui ne trichent pas. Cest comme
en musique pour moi. Ca ressemble à certains trucs mais il y
a cette petite touche qui te fait dire que cest son accent !
Petite pirouette, je reviens à mon accent
(Rires)
Tu nimagines même pas comme je maîtrise lexercice
de linterview.
Jimagine bien que les gens sarrachent
pour tavoir en interview
(Rires)
Tu ne te rends pas compte jadore les interviews. Des gens comme
Thierry Ardisson ou Philippe Gildas sonnent à ma porte pour avoir
la chance de me parler.
Tu les as refusé pour mon interview, merci !
(Hésitations) Ben en fait oui. Je me suis dit Hammerock
jai vraiment envie de les défendre. Jai envoyé
chier Ardisson pour toi. (Rires)
Tes
influences dans le milieu du tattoo ou dans dautres milieux ?
Jen reviens à ce que je disais tout à lheure,
je nai pas que des influences dans le monde du tattoo. Je vais
me lever le matin, je vais écouter un morceau de blues et ça
va minfluencer. Jaime pleins de trucs dans pleins de genre
différents. Jaime aussi énormément le cinéma
et mes influences se trouvent peut-être plus dans le ciné
que dans le dessin. Il ny a pas de mecs que je vénère
particulièrement. Je nai pas un artiste où je me
dis « il a trouvé le St Graal ». Il y a
des mecs dont jaime vraiment le boulot cest sûr. Des
mecs comme Joel-Peter Witkin qui fait des clins dil dans
ses photos à moult artistes. Je nai pas un discours précis
sur chaque image. Cest plus un thème avec des petits détails
de lhumeur du moment où je suis en train de le faire. Par
exemple jutilise beaucoup de typo et neuf fois sur dix cest
en rapport avec un morceau que je suis en train découter
au même moment. Je vais partir sur un truc et je me laisse aller.
Disons que tu vas avoir des flashs et cest toi qui vas mettre
une réflexion sur ces flashs là. Jaime vraiment
quand on regarde mes peintures quon vienne me dire « tiens
ça, ça me fait penser à tel truc ».
Et quand la personne tombe juste, cest du bonheur et ça
enchaîne sur des discussions. Pour revenir au monde du tattoo,
il y a tellement dinfluences à aller puiser partout que
je ne comprends pas les mecs qui puisent uniquement dans leur milieu.
Faire du tattoo nempêche pas de regarder des films, douvrir
des bouquins. On te paie pour donner quelque chose doriginal,
eh bien va chercher ailleurs lidée. Les magazines de tattoo
ne sont pas là pour montrer le boulot de quelquun à
un moment précis mais ils sont là pour donner un des idées
pendant un mois à des blaireaux qui nen ont pas. Cest
le « petit écho de la mode du tatouage ».
Donc
si jai tout bien saisi, les passions en parallèles se sont
la musique, lillustration et le cinéma. Y en a-t-il dautres ?
Ouaiiiis le cul, les potes, passer du bon temps avec des gens que tu
aimes bien, aller boire un verre, jouer avec le petit neveu, se faire
une terrasse, mange un bon steak
Moi je pars du principe que
je nai pas de temps à perdre à me faire chier donc
tout le reste en découle.
Et
finalement, tu te considères comme un tatoueur ou comme un illustrateur ?
Je fais du dessin. Après le statut est bizarre. (NDLR hésitations)
Je ne sais pas trop comment me définir en fait. Je nai
jamais vraiment réussi à me dire « tiens je
ne fais que du tattoo, ou que du dessin ou que de la musique ».
On va dire quofficiellement mon métier cest tatoueur.
Mais moi jai plus limpression dêtre illustrateur
dans le sens où je fais des images de papier sur la peau des
gens. Cest vraiment le support qui change car sinon pour moi cest
vraiment la même approche.
Evidemment tu nas pas le même rapport avec le papier et
une personne
Oui cest certain. Jessais de faire des trucs perso en rapport
avec la personne donc cest vrai que je les fais parler.
De toutes façons les gens se lâchent souvent auprès
de leur tatoueur
Oui cest un peu comme le métier de coiffeur. Il y a toujours
lidée que ce jour précis tu es dans la démarche
où tu vas toccuper de toi. Tu es là pour prendre
soin de toi donc cest un moment où tu es détendu.
Donc forcément les gens se laissent plus aller, et encore plus
quand tu les cherches sur ce terrain là. Ca a justement débouché
sur des amitiés super fortes. Hé oui nous, tatoueurs,
sommes les coiffeuses des temps modernes. (Rires) Navette coiffeur
de star !
Navette le pro de la métaphore surtout
Oui je suis comme ça moi, je suis un embobineur. (Rires)
Tes
pièces sont super rock n roll
a quel niveau la musique influence
t-elle tes pièces ?
Comme je disais un peu avant, jai de la musique en permanence
dans les oreilles que ça soit du rock n roll, de la country,
du punk ou du blues. Jai toujours le même principe que tout
à lheure, je ne marrête pas à un style.
Il y a des mecs qui mont marqué comme Brel. Cest
tous ces trucs qui tobligent à réfléchir:
une parole, un dialogue dans un film etc. Après cest aussi
tous les clichés que tu peux utiliser facilement. En utilisant
des clichés du rock n roll je suis sûr de toucher des gens
qui vont être plus proches de tes goûts que si je faisais
des masques vénitiens.
Oui cest clair
Quoique faut voir
Oui faut voir ! Tiens je vais un truc avec des masques vénitiens !
Cest cool. Jaurais contribué
à ta créativité. (Rires)
Donc
toi aussi tu es musicien ?
Je fais de la musique mais je ne suis pas musicien. Autant je travaille
le dessin tous les jours et jessaie de le faire correctement,
mais je nai pas la prétention de me réclamer musicien
par respect pour les gens que je côtoie tous les jours et qui
eux sont musiciens. Notamment, les mecs avec lesquels je joue sont eux
des vrais musiciens.
Comment ça ?
Je chante moi en fait.
Ah ok !
Même si je fais de la musique en dehors, je joue un peu de tous
les instruments, je ne me sens pas musicien. Tu me donnes une guitare
et je te fais un morceau avec, mais pas un morceau de guitariste. Par
contre, jai un vrai besoin. Je ne peux pas vivre sans. La musique
pour moi cest vraiment un exutoire. Je nai pas la prétention
de me réclamer musicien car je ne peux pas y consacrer douze
heures par jour et si tu ne consacres pas douze heures par jour à
un truc, ça ne sert à rien car tu ne seras jamais bon.
Jaime ça, jaime faire de la scène, je me sens
vraiment dans mon élément dans le groupe.
Cest quel style ?
Cest très influencé blues dans le principe mais
qui reste super noise.
Il y a un nom ?
Ca sappelle Sun God Motel. Ca vient de « Vampire »
de Carpenter quand le Mal bât le Bien dans lhôtel
qui sappelle comme ça. Cest le moment où lombre
a pris le pas. (Rires) Après, musicalement, je ne sais
pas trop comment définir le truc car ça reste de la musique
à jouer à six heures du matin dans une scène de
David Lynch dans un bordel désaffecté. (Rires)
Il y a une sorte de ton cabaret aussi dans le truc mais ça reste
de la musique violente un peu comme des groupes comme Jesus Lizard.
Il y a un côté noise. On aime bien les trucs comme Neurosis.
Dans le groupe on a un des mecs qui jouent avec Overmars. Donc on nécoute
pas tous les mêmes styles de musique mais on a tous un plaisir
commun à faire du son ensemble.
Si
on parle de ta clientèle, est-elle particulière ?
As-tu beaucoup de gens venant du milieu de la musique ?
Je vois pleins de gens différents. On va dire que le seul point
commun quils ont cest une espèce de curiosité.
Je ne suis pas connu ou je ne fais pas spécialement de pub donc
les gens qui viennent me voir, ce sont des gens qui sy sont intéressés.
Je nai pas tellement de gens qui viennent de la scène tattoo.
Jai plus des personnes qui viennent de différentes scènes
artistiques.
Ils sont quand même un peu dans le milieu
du tattoo non ?
Pas tant que ça en fait. Je tattoo énormément de
gens pour qui cest le premier tattoo et qui se font des grosses
pièces tout de suite. Mais je nai pas une clientèle
type. Jai la chance davoir une clientèle super ouverte.
Des mecs qui viennent, qui connaissent mon boulot et qui sont donc déjà
un peu acquis à ma cause quand ils viennent me demander du travail.
Donc cest des gens avec lesquels tu vas pouvoir ouvrir dautres
portes. Je leur demande vraiment de venir avec des idées précises
de ce quils naiment pas. Et neuf fois sur dix on fait un
truc qui na rien à voir avec lidée de départ
mais sur lequel on se fait hyper plaisir les deux. Jai vraiment
de la chance pour ça. Ca fait un peu lèche-cul mais jai
vraiment du bol de les avoir. Il y a des gens avec une démarche
super originale. Les gens veulent quon soccupe deux.
Il y a tellement de gens qui ont des goûts de merde que quand
il y en a qui ont de bonnes idées il faut vraiment quon
se fasse chier pour leur rendre hommage.
Après je tattoo tout et nimporte qui. Des vieux, des jeunes,
des moches, des beaux, des cons mais heureusement je nen ai pas
eu tant que ça des cons.
Parlons
un peu convention maintenant. En fais-tu beaucoup ? Comment les
perçois-tu ? En toutes franchise, jai pu constater
que sur certaines conventions il y a des pièces qui gagnent alors
que ce sont des bouses vivantes
Alors pour toi, est-ce que cest
un critère ?
Non. Les conventions sont utiles parce que pleins de gens peuvent avoir
accès à des tatoueurs qui ne sont pas de chez eux. Pour
les passionnés cest hyper bien. Si tu as la chance de tomber
sur des bons tatoueurs cest génial. Par contre cest
comme tout, ça fleurit de tous les côtés. Il y a
aussi pleins de gens qui ny trouvent pas leur compte sachant que
ça se spécialise de plus en plus. Moi cest vrai
que je ny trouve pas trop mon compte non plus. Je méclate
à aller là bas car cest un super moyen de rencontrer
dautres tatoueurs, ça me permet de voir des gens que je
ne vois pas forcément tout le temps, et ça me permet de
délirer. Après bosser là-bas, ça ne fonctionne
pas trop avec ma démarche. Pour bosser jai besoin davoir
du temps. Jai besoin quon se pose, quon trouve les
idées, quon fasse un dessin, quon prenne du temps,
quon perde du temps
quon prenne le temps de vivre avant
de bosser. Pour avoir les bonnes idées il te faut du temps et
en gros le temps davoir le dessin, tu attaques le tattoo à
lheure de la fin de la convention. Comme je suis un gros branleur
Cest vrai que tu parles beaucoup
(Rires)
Ouais
ben ouais ! Il parait que jen suis à 59
minutes (NDLR dit-il en regardant le dictaphone). Oui je parle
beaucoup et cest vrai que jaime bien que les gens aient
pris la journée pour venir ici.
En même temps cest un peu normal dans
le sens où tu donnes toi aussi du temps
Oui voilà. Jestime que tu dois te souvenir que tu as passé
une bonne journée avec la personne qui ta tatoue. Elle va en
chier physiquement en plus pour y arriver. Donc jaime prendre
le temps pour ça. Prend le temps de vivre
Je
crois savoir que tu tattoo à lextérieur. Comment
ça se passe en général ? Cest les studios
de potes ? Cest pour le fun ?
Cest des rencontres, et je me suis dit quil y avait pleins
de choses à apprendre de ces gens là. Jai bossé
à Berlin, mais aussi avec Olivier DAtika à Toulouse,
avec Fred de Menton
Il y a pleins de boutiques où jaimerais
pouvoir aller. Cest génial car grâce au tattoo, je
peux me permettre daller me payer des vacances chez des gens que
jaime en faisant ce que jaime. Quand je pars bosser à
lextérieur, il faut juste que je puisse bouffer pendant
ce temps là. Donc je fais deux trois tattoos. Ca me permet de
chopper certains clients. Ca me permet de me passer une petite semaine
avec des gens que japprécie.
Oui certains de tes clients viennent de loin maintenant
Oui la femme de Mickael dHatesphere qui vient du Danemark. Lautre
jour, il y a une qui ma appelé du Mexique pour savoir comment
on se fait tatouer par moi quand on habite au Mexique. Je lui ai répondu
« Cest simple, il suffit de trouver trois de tes potes
qui veulent un tattoo pour me rembourser mon billet davion, et
si tu as une piscine jarrive ! ». (Rires)
Lavantage du tattoo, cest que tu peux bosser juste avec
un sac à dos. Jai une boutique où je peux stériliser
mon matos et partir avec. Cest super agréable car on peut
vraiment bosser nimporte où en étant propre. Je
nai pas fait une seule semaine de vacances sans tatouer depuis
que jai ouvert ici.
Tu
travailles donc avec quelquun désormais. Cest ton
apprentie ? Ton associée ? Parle nous delle un
peu pour quon sache ce quelle fait.
Cest ma famille. En fait, on bosse à trois ici. Il y a
Arnaud qui est monteur vidéo et qui bosse dans Overmars. En même
temps, cest lui qui soccupe de tout le merchandising des
tee-shirts, qui aide à organiser les expos ici. Et puis, il y
a Sophie. Officiellement cest mon apprentie mais on fait 50% du
boulot. Cest une amie à moi depuis quasiment dix ans. Je
nai pas réfléchi à travailler avec quelquun.
Ca sest fait naturellement. Cest la seule personne que je
voyais pour bosser avec moi, qui avait une démarche de dessin
qui pouvait vraiment apporter quelque chose au tattoo. Cest aussi
la seule que je voyais pouvoir me supporter toute une journée
car cest super dur de bosser avec moi. En plus, je parle tout
le temps
Un
petit mot de la fin pour clore cette longue interview ? Mais un
mot alors
Crève ! (Rires)
Trou du cul !!! (Rires)
Au final, Navette cest un style mais aussi
une personnalité et le pote de moustache de Lemmy de Motörhead.
Sa clientèle est forcément différente de celle
de beaucoup dautres studios. On ne va pas chez lui pour un dauphin
ou un tribal, cest évident. Chez lui le tattoo cest
tout autre chose et cest ça que jaime
Japprécie
aussi sa franchise à toute épreuve. Avec lui, toute vérité
est bonne à prendre. Vous laurez compris, cette interview
fut un très bon moment pour ma part. Alors, merci Navette davoir
pris sur ton temps (Mais alors quest ce quil parle ce
roi de la métaphore
pire quune fille !!!) !!
Petit scoop : un bouquin est en préparation sur une nouvelle
structure dédition lyonnaise pour fin décembre 2006.
Ca sera des illustrations dans la lignée de ses tee-shirts (sur
un mythe mort). Vous nen saurez pas plus pour le moment
Mais
si jamais vous voulez découvrir ou redécouvrir son travail,
voici son site internet : www.vivadolor.com
Interview
Anne (Arkam Team)
VIVA DOLOR
04 rue Bellievre
69005 Lyon (France)
0033/(0) 04 78 42 72 10
www.vivadolor.com
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